Bâtisseurs de Possibles – entretiens avec les enseignant·es : Ramona Coupel Dulgheru
Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, […]
15 07 2024
Bâtisseurs de Possibles – entretiens avec les enseignant·es : Ramona Coupel Dulgheru

Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, des ressources et outils pédagogiques et un accompagnement (formations, suivi, etc.). 

Tandis que les inscriptions au programme sont rouvertes pour l’année scolaire 2024-2025, des enseignant·es engagé·es dans l’aventure Bâtisseurs de Possibles ont accepté de revenir sur leur(s) expérience(s) de cette méthode pédagogique.

Ramona Coupel Dulgheru enseigne depuis 15 ans à l’école Emilie Brandt, à Levallois-Perret, une école dite « nouvelle » qui prône une pédagogie active dans laquelle l’élève participe à ses apprentissages. Cette année, Ramona a mené des projets Bâtisseurs de Possibles en classe, mais pas que : elle a aussi fait expérimenter la méthode aux parents d’élèves dans un atelier de co-éducation. Une adaptation de la démarche Bâtisseurs qui va au-delà du simple cadre de la classe ou même de l’école.

Bonjour Ramona Coupel Dulgheru, merci d’avoir accepté cet entretien. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous présenter votre école ?

Je suis Ramona Coupel Dulgheru, enseignante depuis 15 ans à l’école Emilie Brandt. Cette école est privée, laïque et adhère à la philosophie des écoles nouvelles – elle fait partie de l’ANEN – Association Nationale d’Education Nouvelle. Les écoles nouvelles découlent d’un courant pédagogique qui vise à ce que les individus participent activement à leur propre apprentissage. On peut citer Dewey (l’apprendre en faisant – « learning by doing »), Freinet, Decroly,… 

Concrètement, cela veut dire que nous prônons dans cette école une pédagogie d’inspiration montessorienne utilisant les outils de la discipline positive, la découverte et l’expérimentation, la socialisation et le développement du sens critique. J’ai moi-même été formée à la méthode et aux outils pédagogiques « Montessori » à mon arrivée en maternelle. 

Ramona Coupel Dulgheru dans sa classe

Nous sommes par ailleurs sous contrat avec l’Etat ; nous respectons donc les programmes de l’Education nationale. Mais on se différencie par notre ancrage dans l’innovation continue de nos méthodes pédagogiques. L’école Emilie Brandt était parmi les premières à adhérer aux méthodes d’éducation positive ; aujourd’hui, de nombreuses écoles se forment également à ce type d’outils.

J’ai enseigné 9 ans en maternelle, puis je suis passée au CP pour environ 7 ans. Depuis 2 ans, j’enseigne en CP à raison de 3 jours par semaine et un jour par semaine en CM2.

On voit parfaitement comment la méthode Bâtisseurs de Possibles peut s’inscrire dans la démarche prônée par les écoles nouvelles : changement de posture de l’enseignant·e, innovation par projets en classe, partir des centres d’intérêts des apprenant·es,… Depuis combien de temps participez-vous au programme ?

J’ai découvert Bâtisseurs de Possibles il y a environ six ans. A mon arrivée en classe de CP, je cherchais une nouvelle méthode pour faire quelque chose de différent avec ma classe. C’est à ce moment-là que, sur un salon, j’ai rencontré Katarina qui faisait à l’époque partie de l’équipe pédagogique de Bâtisseurs. Elle m’a invitée à participer aux groupes de travail et aux rencontres du réseau et le reste s’est fait naturellement.

Je me suis lancée l’année du confinement [du Covid], en 2019. Et depuis, je continue !

Vous menez des projets Bâtisseurs avec les CP comme avec les CM2. Quelles différences et/ou similarités observez-vous entre les niveaux dans ces projets ?

Avec les CM2, je peux commencer dès septembre et le groupe arrive en général à bien avancer sur toute l’année et même à finir dans les temps. Avec les CP, j’ai observé dès la première année que s’investir sur une année entière sur un projet était plus compliqué. J’ai donc essayé de mener un projet sur 3 mois, et je trouve que c’est le format qui fonctionne le mieux pour ce niveau !

Pour les deux niveaux, j’ai souvent des difficultés avec la phase de partage – quatrième et dernière étape de la méthode Bâtisseurs. On manque souvent de temps, particulièrement en juin ; c’est une période très chargée pour les enseignant·es et les écoles en général. L’an dernier, j’ai trouvé que la rencontre de fin d’année en ligne entre plusieurs groupes – de différentes écoles à travers le monde – organisée par l’équipe Bâtisseurs, était un bon moyen de faire cette étape de partage.

J’ai aussi eu la chance de travailler avec Martin Meissonnier – initiateur de la plateforme Le Bonheur à l’école – qui a réalisé, il y a 2 ans, une vidéo avec ma classe de CM2 à propos de la méthode Bâtisseurs. C’était un partage formidable de leur travail !

L’année dernière, nous avions découvert le projet des CM2 : « Troc Monsieur et Troc Madame : tout le monde en troque un petit bout ! » pour lutter contre la surconsommation et la pollution de l’industrie textile et des océans (répondant aux Objectifs de développement durable 12 et 14). Les CM2 ont organisé une brocante de troc de vêtements et de jeux dont les bénéfices ont été reversés à l’association Sea Cleaners et à son bateau dépollueur d’océan : « Manta ». Est-ce que le projet continue ?

Effectivement, le « ministère » concerné au sein de l’école a fait perdurer l’initiative. 

Un ministère au sein de l’école ?

À l’école Émilie Brandt, nous avons un gouvernement des élèves et des ministères. Le ministère de l’écologie a gardé l’idée du troc et l’organise deux fois par an : avant les vacances des fêtes et à l’occasion de la kermesse de l’école.

Ce gouvernement des élèves a été créé il y a un peu moins de dix ans. Cela avait commencé auparavant avec des élections présidentielles, organisées tous les cinq ans pour coller à la réalité politique extérieure à l’école. Il y avait plusieurs candidat·es qui faisaient campagne ; l’un·e d’eux·elles était élu·e comme représentant·e des élèves. C’était déjà une manière de travailler l’éducation civique des élèves. Il y a environ huit ans, le président élu avait soumis l’idée de créer des ministères, « comme dans la vraie vie ». Ceux et celles qui ont créé ces premiers ministères sont maintenant au collège, en troisième !

Nous avons des ministères respectivement de la Solidarité, de l’Écologie, de l’Organisation, de la Vie de l’école et de la Culture. Tou·tes les élèves de l’école, à partir du CP, peuvent participer aux ministères. Cependant, les élèves de maternelle sont aussi entendu·es par le Ministère de la Vie de l’école qui a pour mission d’améliorer le quotidien de tou·tes les élèves au sein de l’école à partir des demandes faites par les élèves, dont ceux et celles en maternelle.

Dans chaque ministère, il y a un·e ministre, un·e collaborateur·rice et un·e membre d’honneur. En général, les ministres sont dans des niveaux CM et les collaborateurs·rices de niveaux CE1 et CE2 et les membres d’honneur en CP. Cela permet une passation d’année en année lorsque les ministres partent au collège par exemple.

Bâtisseurs de Possibles - élèves de CP de Ramona Coupel Dulgheru

Ce sont de belles responsabilités ! On voit que les élèves sont impliqué·es et s’engagent dans la vie de l’école. Les projets Bâtisseurs de Possibles prennent une dimension nouvelle dans cet environnement. Quels sont les projets menés cette année ? Il me semble que vous avez vous-même adapté la méthodologie Bâtisseurs pour un cas un peu particulier ?

Cette année, les CP ont décidé de s’attaquer à la problématique de surconsommation et plus particulièrement de réduire les jouets. Les CM2 travaillent elles et eux sur la pauvreté. Iels montent en ce moment une exposition en vue d’obtenir des dons et de venir en aide aux personnes vivant dans la rue.

Bâtisseurs de Possibles - la classe de CP de Ramona Coupel Dulgheru identifie des problématiques

Et pour ma part, en parallèle, j’ai eu l’idée d’appliquer la méthode à un cas de co-éducation, avec les parents d’élèves. 

Qu’est-ce que la « co-éducation » ?

La co-éducation, c’est la manière dont les parents et les enseignant·es travaillent ensemble pour accompagner les enfants dans leur scolarité et dans leurs apprentissages. Nous sommes co-responsables du parcours éducatif et pédagogique des enfants ; bien que ce soient des rôles bien séparés, ils peuvent – et doivent – être complémentaires.

Avec le Covid, le confinement et tout ce que cela a impliqué dans les apprentissages et le rapport aux institutions, j’ai ressenti une perte d’habitudes dans les relations parents/enseignant·es. J’avais l’impression que les parents étaient demandeurs·euses de plus de partage pédagogique. J’avais aussi le sentiment que nous cherchions – enseignant·es et parents – à (re)former un collectif au service de l’apprentissage des enfants.

Comment avez-vous envisagé de mener ce projet via la méthode Bâtisseurs ?

A mon sens, c’est justement l’inverse – de l’individualisme et de la logique de service – qui est promu par la méthode Bâtisseurs de Possibles. Les élèves travaillent en groupe, ensemble, à l’identification de problématiques et à leurs résolutions. Via les projets, iels prennent conscience qu’iels ont un pouvoir d’agir, qu’ensemble iels sont plus fort·es de l’imagination de solutions à leurs réalisations. 

Professionnellement, ce décalage que j’observais avec les parents me perturbait. Je voulais que l’on puisse, avec des parents d’élèves volontaires, identifier ce qui « coinçait » et avancer. D’une part, cela nous permettant de co-construire la cadre pédagogique ensemble et d’autre part, cela permettait aux parents d’expérimenter la méthode que leurs propres enfants appliquent dans l’année. 

On a lancé le projet auprès des parents des élèves de ma classe de CP. Mes deux collègues-binômes de CM2 et de CP étaient intéressé·es et m’ont accompagnée sur l’initiative.

En mars dernier, nous avons donc organisé un atelier de co-éducation selon la démarche Bâtisseurs de Possibles, avec les parents d’élèves. On a dû adapter la méthode, avec l’aide de Philippa-Jane Blein de l’équipe Bâtisseurs de Possibles, pour un temps court. L’adaptation était imaginée pour une séance unique d’une heure et demie mais s’est finalement déroulée en deux séances ; la première séance a été dédiée à la définition et au choix des problématiques, la deuxième à la recherche de solutions applicables.

Quelles problématiques sont ressorties de cette concertation ? Quelles solutions avez-vous choisi de mettre en place ?

Parmi les problématiques que nous avons explorées, il y avait notamment « Comment mieux accompagner les enfants à l’école en favorisant le partage d’outils pédagogiques ? ». Nous étions parti·es du constat que les parents étaient un peu « perdus » face aux outils partagés par les enseignant·es. Ou encore « Comment engager les enfants dans leur parcours d’écolier ? ».

Classe de Ramona Coupel Dulgheru

Certaines solutions n’ont pas été retenues car trop difficiles à implémenter pour les enseignant·es et/ou pour les parents. Mais nous avons fini par identifier des solutions réalisables, avec des engagements des deux côtés. J’ai par exemple traduit les compétences – selon les périodes de l’année – en tableau pour une meilleure compréhension de la part des parents. De leur côté, iels s’étaient engagé·es à consulter ce tableau avec les enfants, justement pour mieux les engager dans leur parcours écolier et redonner du sens à leurs apprentissages. 

J’aimerais reproduire cet atelier l’année prochaine, mais plus tôt cette fois-ci pour engager ce dialogue et cette collaboration dès le début de l’année scolaire. Je réfléchis également à aborder des problématiques plus concrètes sur les apprentissages et par ateliers courts dédiés. Par exemple : comment faire lire mon enfant à la maison ? Des problématiques qui sont communes à plusieurs familles et qui nous remontent en entretiens individuels, et qui peuvent être en partie traitées en moment collectif.

J’ai compris beaucoup de choses grâce à cet atelier. Même si je n’aurai pas affaire aux mêmes parents d’élèves, j’ai pu remettre en question un certain nombre de choses. Je suis contente de la participation des parents aux ateliers, c’est un premier pas !

Un beau programme en perspective, qui va probablement demander du temps dans la mise en place de nouvelles habitudes. Mais vous ne vous arrêtez pas là. Il me semble que vous avez un dernier projet Bâtisseurs de Possibles cette année, et encore une adaptation de la méthode ?

La direction de mon école valorise et encourage toute initiative innovante en classe et c’est une chance pour moi. Cela m’a notamment donné l’occasion d’imaginer, pour la fin d’année, un créathon sur deux demi-journées, avec ma collègue de CM2 Sophie Macquaire (que je remercie !).

Pendant ces deux moments, 23 élèves de CM2 vont échanger sur les droits des enfants, ce que cela représente pour elles et eux, ce qui les interpelle, jusqu’à choisir un droit en particulier sur lequel iels aimeraient agir, à leur échelle. Iels suivront toutes les étapes de design thinking telles que définies par Bâtisseurs de Possibles : 

  • étape 0 : poser le cadre du climat de classe, changer de posture 
  • étape 1 : identifier une problématique qui les touche 
  • étape 2 : imaginer toutes les solutions possibles et retenir la plus pertinente 
  • étape 3 : prototyper la solution 
  • étape 4 : partager la solution auprès des autres et faire le bilan.

On espère vous en dire plus bientôt !

Ndlr : au moment de l’interview, l’atelier n’avait pas eu lieu. Depuis, nous savons que les élèves ont choisi de travailler sur le droit de vote des enfants, et plus particulièrement : comment être mieux formé·es pour mieux participer au choix démocratique ?

Dans les solutions avancées, les élèves ont évoqué : davantage de cours d’éducation civique, des clubs pour discuter et débattre de questions civiques, politiques, sociales, mais aussi des affiches pour expliquer pourquoi iels souhaitent participer à la vie démocratique du pays.


LANCEZ-VOUS DANS UN PROJET BÂTISSEURS DE POSSIBLES AVEC VOTRE CLASSE

« Comment les enfants vont changer le monde ?
– C’est vrai ça ! Avec quels pouvoirs ?
– Il n’y a que les sorciers qui ont un pouvoir.
– Et les sorcières.
– Mais si ! On a le pouvoir de l’intelligence ! »
Discussion chez les maternelles de l’école Notre-Dame

Vous aussi vous souhaitez monter des projets à impact dans votre classe ? Vos élèves se posent beaucoup de questions : comment pourrait-on mieux travailler dans notre salle de classe ? Pourquoi des gens habitent-ils dans la rue ? Vous souhaitez permettre à vos élèves d’agir sur le monde qui les entoure ?
👉 Rejoignez le programme Bâtisseurs de Possibles pour l’année scolaire 2024- 2025 !

Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, des ressources et outils pédagogiques et un accompagnement (formations, suivi, etc.).

Que vous ayez envie de découvrir petit à petit la démarche ou de vous lancer directement dans un projet avec vos élèves, le réseau Bâtisseurs de Possibles vous accompagne !

Au-delà des bienfaits sur les compétences des élèves comme la coopération, l’empathie, la prise de parole, la créativité, le fait de rendre les élèves acteurs·rices permet de réduire l’éco-anxiété.

Découvrez d’autres témoignages :

🔹 Anne-Lore Greter-Traoré – classe de CM1
🔹 Béatrice Poignonec – classe de CE2
🔹 Rencontre virtuelle entre classes participantes 2024


Cette publication s’inscrit dans le cadre de la Chaire UNESCO « Sciences de l’apprendre », établie entre l’UNESCO et Université Paris Cité, en partenariat avec le Learning Planet Institute. Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne représentent pas nécessairement les vues de l’UNESCO et n’engagent en rien l’Organisation.


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