Le projet Bâtisseurs de Récits, imaginé par le Learning Planet Institute, a permis à des jeunes de Grigny, en 3ème au collège Jean Vilar, de raconter leur propre histoire, et de rencontrer des champions olympiques et paralympiques pour les interviewer. « Qu’on soit sportif de haut niveau ou adolescent, chaque parcours peut être inspirant. C’est ce que nous avons voulu raconter avec ce projet », explique Omar Kamara, ingénieur pédagogique au Learning Planet Institute. Un défi relevé haut la main. Retour sur une expérience éducative hors-norme.
Il ne fait pas chaud, en ce mercredi matin d’hiver, devant le centre culturel Sidney Bechet de Grigny (Essonne). Nous sommes le 20 novembre 2024 et, alors que le soleil dissipe peu à peu les nuages, des jeunes et des adultes se pressent dans la salle pour trouver une place. Une classe entière fait le tour des personnes déjà arrivées pour leur faire un « check » de bonjour, avant de s’asseoir. Nous sommes le 20 novembre 2024 et aujourd’hui, à Grigny, se déroule un événement un peu spécial : des enfants, des jeunes, des enseignants et des représentants d’associations sont réunis pour célébrer la journée mondiale de l’enfance, et l’année du centenaire de la Déclaration des Droits de l’Enfant. Nous sommes le 20 novembre 2024 et de jeunes intervenants se succèdent sur scène devant une salle comble et attentive. « Grigny n’est pas toujours représentée comme une belle ville, mais on a fait un truc incroyable. Je suis fière de vous », lance Sala, élève de 3ème 3 au collège Jean Vilar.
Grigny, ville-monde face à de nombreux défis
Grigny, c’est cette ville de plus de 27 000 habitants située à 30km au sud de Paris. « Ville-monde » comme aime à le rappeler son maire Philippe Rio, elle accueille près de 86 nationalités différentes. C’est également la ville la plus jeune d’Île-de-France, et la plus pauvre de France métropolitaine. 44% de ses habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage s’élève à 21%, contre 8% au niveau national (Observatoire des inégalités, 2023). La moitié des Grignois a moins de 30 ans. 47 à 77% des élèves sont issus de catégories sociales défavorisées, alors que le taux de réussite au baccalauréat (général, technologique, professionnel) atteint les 68,6% (contre 91,4% à l’échelle nationale).
Dans cette ville où beaucoup d’élèves quittent le système scolaire sans diplôme, de nombreux efforts sont déployés pour accompagner au mieux les enfants et les jeunes. « Si aujourd’hui Grigny est considérée comme une terre d’innovation et un laboratoire national de politiques publiques, c’est certainement parce que nous avons réussi à intégrer, avec très peu de moyens financiers car Grigny est une ville pauvre, l’empowerment des personnes et le respect des droits humains au cœur de nos politiques. », explique Philippe Rio. Et pour cause. « Je voudrais dire toute ma gratitude aux doux rêveurs (…) qui ont considéré, il y a quelques années, que l’éducation était une affaire commune et qui ont fait naître la première Cité éducative », rappelle-t-il.
Les Cités éducatives sont des alliances qui réunissent les acteurs éducatifs locaux au sein des quartiers prioritaires de la ville (parents, services de l’État, collectivités, associations et habitants) afin de lutter contre le décrochage scolaire et le chômage des jeunes grâce à la création d’un territoire « à forte valeur éducative ». Grigny a lancé la toute première Cité éducative labellisée en France en 2020, sous l’impulsion du Grand Projet Éducatif, le pays en compte plus de 200 aujourd’hui.
Un territoire porteur d’espoir
Désormais, la Cité éducative de Grigny offre une approche intégrée de l’éducation, en valorisant la collaboration entre communauté, école et famille pour permettre aux jeunes de se développer et de s’épanouir dans un environnement serein. La lutte contre le déterminisme social, la promotion de l’égalité des chances et la lutte contre la pauvreté sont des composantes essentielles de sa mission.
« Grigny, laboratoire de la réussite éducative » est ainsi le fruit de plus d’un an de réflexion entre différents partenaires, dont la ville de Grigny et le Learning Planet Institute. L’idée phare est de concevoir et d’expérimenter des solutions éducatives innovantes, de former et d’animer la communauté́ des jeunes et des acteurs éducation & jeunesse de Grigny. Fort de l’expérience d’ingénierie pédagogique et d’élaboration de méthodologies d’apprentissage de la direction Jeunesse du Learning Planet Institute, différents programmes ont pu être mis en place avec la ville. Parmi eux, le projet Bâtisseurs de Possibles a permis à des enfants de 8-11 ans de travailler sur le harcèlement scolaire, problématique qui leur est chère et sur laquelle ils continuent de se pencher grâce à une méthodologie qui a porté ses fruits au sein de diverses communautés à travers le monde. « Si j’avais tous les moyens du monde, j’utiliserais de la magie pour faire disparaître le harcèlement », déclare un enfant lors de la restitution du 20 novembre. Ont également vu le jour : des projets et programmes à destination des jeunes de 12 à 16 ans, ou encore l’intervention de l’artiste de renommée internationale Uğur Gallenkuş venu exposer ses œuvres à Grigny le 20 novembre, et discuter de son engagement créatif avec la jeunesse.
Bâtisseurs de Récits, un projet hors du commun
Mais de quoi parlait Sala quand, quelques minutes avant qu’Uğur ne prenne la parole, elle se disait fière de ses camarades et d’elle-même ? Sala est une élève de 3ème 3 du collège Jean Vilar de Grigny, et avec une vingtaine d’autres jeunes, elle a participé à un nouveau projet : Bâtisseurs de Récits, soutenu par la Fondation Engagement Médias pour les Jeunes, la Fondation pour l’Écriture, et en collaboration avec le British Council.
Bâtisseurs de Récits est né d’une idée un peu folle : réunir autour d’un projet narratif cette classe de jeunes Grignois et des sportifs de haut niveau en cette année de Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (JOP Paris 2024), et ainsi contribuer à leur héritage culturel.
L’ambition est grande, les objectifs nombreux. Il s’agit de documenter les récits des jeunes en mettant en lumière leurs expériences, leurs défis, leurs rêves, mais aussi de les accompagner dans une démarche journalistique pour leur donner le pouvoir d’agir sur leurs propres récits. En parallèle, ils travaillent au recueil d’histoires d’athlètes olympiques et paralympiques – pour certains réfugiés – en valorisant leurs parcours et leurs aspirations pour finalement croiser leurs propres récits avec ceux des sportifs et en faire une histoire partagée de résilience et de diversité culturelle.
Un parcours initiatique pour construire des récits
Bâtisseurs de Récits a été imaginé autour du concept du « voyage du héros » ou « monomythe » théorisé par Joseph Campbell dans son ouvrage Le Héros aux mille et un visages (The Hero with a Thousand Faces, 1949). Cette structure narrative universelle, que l’on retrouve dans de nombreux récits mythologiques, littéraires et cinématographiques à travers les cultures, se divise en plusieurs étapes clés et retrace le parcours initiatique d’un personnage central, le héros. C’est sur cette base que les jeunes de 3ème 3 du collège Jean Vilar ont participé à différents ateliers ces derniers mois, entre les locaux du Learning Planet Institute en plein cœur de Paris, et leur collège. « La première fois qu’ils sont venus au Learning Planet Institute, les élèves n’avaient pas forcément les codes et on se demandait s’ils allaient s’adapter au lieu. Ils l’ont très bien fait. Ils ont eu un comportement et une posture quasi-professionnels. Ils peuvent être très fiers d’eux », confie l’une de leurs enseignantes.
Les jeunes, eux aussi, réalisent un parcours initiatique ponctué de divers ateliers et sessions de travail entre le printemps et l’hiver 2024. Ils apprennent les bases du storytelling pour pouvoir raconter leur propre histoire ou celle d’un proche, dans le cadre d’un podcast dédié à la mémoire et au souvenir. « J’ai écrit un souvenir personnel et ça m’a fait vraiment du bien de le partager avec les autres. » , explique un élève. Aux côtés de journalistes professionnels, les jeunes sont formés au fonctionnement et à l’utilisation du studio d’enregistrement, et bénéficient également de conseils pour mener des interviews. Ils explorent même le vocabulaire du sport en anglais avec l’aide de représentants du British Council ! Car au-delà de la narration de leur propre histoire, les jeunes de 3ème 3 rencontrent des sportifs de haut niveau, et ils ne sont pas en reste ! Ils questionnent Ryadh Salem (membre de l’équipe de France de basket fauteuil aux JOP Paris 2024, athlète paralympique à Rio et à Atlanta), Jeanne Boutbien (nageuse, porte-drapeau du Sénégal, JOP Tokyo 2021) ou encore Shirine Boukli (judokate en équipe de France, catégorie poids léger, double médaillée olympique, JOP Paris 2024) sur leur parcours, leurs peurs, leurs aspirations et leur demandent des conseils.
À la rencontre des champions
Lors de leur première rencontre, Ryadh Salem les invite à croire en leurs rêves. À la question « Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui débutent en natation ? », Jeanne Boutbien répond « Amusez-vous, parce que (…) c’est un sport exigeant. Tu ne pourras jamais performer si tu ne t’amuses pas. C’est ça le plus important. » Quant à Shirine Boukli, elle leur raconte son expérience de l’échec et sa persévérance : «Je me suis dit : « Shirine, tu as échoué une fois aux JO, tu vas construire à partir de ça. » Et aujourd’hui je suis double médaillée olympique et j’en suis super fière. Si je vous donne un conseil, c’est : se battre tous les jours, croire en vos rêves, vous donner les moyens de réussir (…) ».
Ces échanges inspirants et privilégiés entre les murs d’une classe ou du Learning Planet Institute sont ponctués de moments clés, en public, où les apprentis journalistes prennent la parole devant 300 personnes, le 4 septembre 2024, à l’occasion d’un événement dédié aux athlètes olympiques, paralympiques et réfugiés.
Pendant cette soirée, Seydou et Sala, deux élèves de la classe de 3ème 3, soutenus par leurs camarades et leurs enseignants dans la salle, posent chacun une question à Ryadh Salem, et à Manizha Talash, athlète afghane réfugiée dont le geste, lors de la compétition de breakdance aux JOP Paris 2024, a fait le tour des réseaux sociaux et des médias internationaux.
Quand Seydou demande à Ryadh : « Toi qui as participé à différents Jeux, qu’est-ce qui, à Paris, est différent des autres ? », le champion explique que ce sont pour lui les plus beaux Jeux, qui apporteront la meilleure médaille qui soit après la compétition : une vision différente du handicap dans la société.
Sala prend le micro pour demander à Manizha : « Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer la danse alors que dans votre pays c’est interdit, et qu’est-ce que vous ressentez quand vous dansez ? » L’athlète apprécie la question, elle fait remarquer qu’on ne lui a jamais posé, et répond : « J’avais un coach qui me disait : « Si tu n’aimes pas un droit ou une loi, il faut que tu le combattes pour l’abolir, et ça te permettra de rêver et de réaliser tes rêves. Au moment où je suis entrée dans le club de breakdance, il n’y avait aucune fille, et j’ai rêvé d’aller aux JO (…) Le breaking, pour moi, c’est comme un médicament. Ça apaise, ça fait oublier ses douleurs et ses problèmes. Quand je m’entraîne, je suis complètement dans un autre monde ». Les intervieweurs en herbe sont aussi chaleureusement applaudis que les interviewés, et Ryadh Salem les remercie pour leur courage et leur attitude sur scène, qui véhiculent un beau message. Un grand moment d’émotion partagé par les enfants et le public, venu nombreux.
Bâtir la confiance
Nilou Soyeux, Déléguée générale de la Fondation Engagement Médias pour les Jeunes (France Télévisions, France Télévisions Publicité, France Médias Monde et TV5Monde), s’enthousiasme elle aussi : « Nous soutenons des projets autour de l’expression orale et écrite chez les jeunes de 14 à 30 ans. Et je dois dire que je suis impressionnée par le savoir, l’entraide et la citoyenneté qui émergent de Bâtisseurs de Récits. Pour moi, ce qui compte, c’est que les jeunes puissent avoir confiance. Confiance en les choses, confiance aux autres, confiance dans le monde (…) Alors si c’est par le sport, c’est très bien. Nous avons été conquis par la confiance que vous donnez avec ce projet… »
Et de la confiance, les jeunes en ont développé. Ils le disent eux-mêmes à de nombreuses reprises tout au long du parcours: « Ayez confiance en vous, faites du sport et (…) avec un peu de persévérance, tout est possible à ceux qui croient ! » lancent Adèle, Swann et Chreston.
Un projet à renouveler
« Bâtisseurs de Récits souhaitait, pour les jeunes, le développement de plusieurs compétences : pensée critique, curiosité, créativité et prise de parole. » explique Omar Kamara. En ce 20 novembre 2024, sur scène, c’est lui qui tend le micro aux jeunes de la classe de 3ème 3 pour leur recueillir leurs impressions, leurs réactions quant au programme. Et les retours positifs fusent : « On a pu avoir des souvenirs sportifs, écrire, et essayer de mémoriser les questions », dit une élève. « Ce qui m’a le plus plu, c’est de rencontrer les athlètes et de raconter mon histoire », poursuit Jean. À la question « Qu’est-ce qui vous a rendu fier(e) ? » une élève de 3ème 3 répond : « Je suis fière d’avoir partagé un moment avec ma classe, d’avoir rencontré des sportifs de haut niveau et d’avoir raconté mon histoire. Je suis fière de nous, (…) je suis fière de vous ! »
Leurs enseignants aussi sont fiers de leurs élèves. L’une d’eux explique : « Leur estime d’eux-mêmes était très basse, mais ils ont compris qu’on pouvait venir de Grigny et faire de grandes choses, comme les sportifs qu’ils ont pu rencontrer ». Pas étonnant que l’un des élèves garde en mémoire un conseil de ses échanges avec les champions : « Si je devais retenir une chose, ce serait : ne pas abandonner, laisser les échecs de côté et regarder en face pour continuer ».
« Ce projet leur a permis de voir plus loin, de s’ouvrir sur le monde alors qu’ils pensaient que leur avenir serait ici, à Grigny. Ils ont persévéré, ils ont travaillé, ils ont pris la parole en public. Ça fait espérer nos élèves », se réjouit un enseignant. « Ces élèves, je les suis depuis la 6ème », poursuit leur enseignante d’EPS, « et grâce au projet, ils sont devenus de mini-adultes, de futurs citoyens. »
Salve d’applaudissements et de tapements de pieds en direction des jeunes sur scène. Et Ninou Soyeux de conclure : « Je voudrais féliciter les jeunes, et bravo aux profs aussi, les profs sont des héros. Les profs ne font pas seulement classe, ils sont très engagés, la classe est une grande partie de leur vie. Alors bravo. On ose faire des choses quand on a confiance, et vous l’avez à présent. Les récits, c’est important, et on espère rester à vos côtés encore longtemps. »
Bravo à tous les 3ème 3 Abdoul, Adèle , Bidia , Chreston, Jean, Kandia, Melissa, Makan, Mélissa, Pedrick, Sala, Seydou, Slohan, Swann, Reda, Widded et leurs enseignants, Mme Marie-Caroline GALOPIN, Mr. Julien LEMAIRE HU et Mme Zoé SUTEAU. Et un grand merci à Laurent Zanutta, principal du collège Jean Vilar et à Sandrine ESPINASSE, Directrice de la Segpa qui ont rendu tout cela possible.