« Je me considère privilégiée, j’ai toujours eu la chance de travailler sur ce qui correspondait à mes intérêts. Et dans le monde de la science, c’est plutôt rare. » Le ton est donné. À l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science et alors que les bourses de recherche allouées aux femmes restent bien moins importantes que celles allouées aux hommes, Cléa Montanari, qui travaille dans le monde des sciences participatives, nous livre son regard et son expérience. Chaleureux échange dans un café en bord de Seine.
Cléa Montanari a bougé toute sa vie. C’est une third culture kid (« enfant de la troisième culture ») qui a grandi la majeure partie de son existence ailleurs que dans ses pays d’origine. Franco-italienne, Cléa fait ses études de bachelor à l’Université Concordia au Canada. « J’ai choisi la biologie car c’est ce qui m’intéressait au lycée. Ce n’est pas tant l’environnement de travail dans un laboratoire qui me plaisait, mais le sujet. En parallèle, j’étudiais la durabilité (Sustainability Studies). »
Lors de ses premières années d’étude, le projet de recherche de Cléa porte sur les services écosystémiques (Ecosystem Services), c’est-à-dire les avantages que procurent les écosystèmes aux êtres humains, de manière directe ou indirecte (par exemple, les services d’approvisionnement (ressources fournies par la nature – telles que l’eau potable, la nourriture, etc.) Cléa se demande alors ce que les humains peuvent faire pour que la nature bénéficie de leurs activités en retour. « Ce sujet m’intéressait beaucoup, j’avais vraiment envie de creuser cette piste. J’ai fait de nombreuses recherches, et je ne cessais de tomber sur les publications de Rudolf de Groot. C’est grâce à ces lectures que je suis partie étudier la politique environnementale (Environmental Policy) en master à la Wageningen University & Research aux Pays-Bas. »
Cléa se spécialise dans la diplomatie du développement durable (Sustainable Development Diplomacy). « Ce qui m’a intéressée dans ces études et qui continue à me passionner, c’est la relation humain-nature et les sciences participatives (Citizen Science) ». En année de césure, Cléa fait la rencontre de Muki Haklay, professeur de science de l’information géographique (Geographical Information Science) à UCL, au Royaume-Uni, aujourd’hui son manager. Elle croise sa route un peu par hasard sur la plateforme Future Earth, dans un groupe de travail sur le rôle des sciences participatives dans l’atteinte des objectifs de développement durable (Sustainable Development Goals, SDGs). « C’était vraiment passionnant pour moi car je collaborais, en tant qu’étudiante, avec des chercheur·ses bien établi·es. J’ai même eu la chance de mener la co-rédaction du papier Agenda 2030’s, “Leave no one behind”, in citizen science?. C’est ainsi que je suis entrée dans le monde des sciences participatives. »
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Mais que sont au juste les sciences participatives, ou sciences citoyennes ? Selon Cléa, le terme « sciences participatives » est plus fréquemment utilisé en France, « sciences citoyennes » a une connotation plus militante. L’utilisation de « Citizen science » est le terme utilisé au niveau européen.
« J’aime bien utiliser des exemples pour expliquer ce que sont les sciences participatives (…)», sourit la jeune femme. « (…) Si des chercheur·ses veulent collecter des données sur les migrations de certains oiseaux pour mieux les comprendre, elles/ils peuvent s’appuyer sur des citoyen·nes comme vous et moi qui sont passionné·es et qui vont, en observant les oiseaux, remplir des données sur une application de leur smartphone. Cela permet aux chercheur·ses de collecter des données pour poursuivre leur travail. Il y a vraiment une idée de collaboration entre les scientifiques et la société civile. En sciences participatives, la personne est à la fois sujet·te et participant·e, ou simplement participant·e. »
Pour son mémoire de fin de master, Cléa essaie de comprendre comment des articles écrits par des organisations protectrices de l’environnement peuvent avoir un impact sur la façon dont les lecteur·rices envisagent leur propre rapport à la nature et leur citoyenneté alimentaire (Food citizenship). La citoyenneté alimentaire explore l’idée que nous ne sommes pas seulement des consommateur·rices à la fin de la chaîne alimentaire, mais des participant·es dans l’ensemble du système alimentaire.
À la fin de ses études, Cléa postule pour devenir responsable de projet au sein du programme européen European Citizen Science (science participative européenne). Cela fait désormais plus de deux ans qu’elle y travaille aux côtés de Muki Haklay, chef de projet. « European Citizen Science a pour but, à l’échelle européenne, de faire grandir et de renforcer les sciences participatives au sein de l’Europe. Il rassemble s vingt-sept pays de l’Union, ainsi que le Royaume-Uni et vingt-et-une organisations sont partenaires, dont Université Paris Cité et le Learning Planet Institute. Ici à Paris, nous travaillons spécifiquement sur le développement d’une académie européenne des sciences participatives. Nous améliorons une plateforme numérique, travaillons à un business plan, et mobilisons des réseaux de formateur·rices et d’éducateur·rices… Cette académie sera basée à Berlin et proposera des formations en physique et en ligne, à destination des chercheur·ses, des musées, des universités, des bibliothèques de recherche ou des bibliothèques publiques. » Le projet, qui dure quatre ans au total, devrait voir le jour fin 2026.

La construction de cette académie est l’une des initiatives en sciences citoyennes portées par le Learning Planet Institute convaincu, depuis près de quinze ans, que les citoyen·nes ont un rôle majeur à jouer pour répondre aux défis d’un avenir durable. En tout, trois grands projets européens ont été soutenus par l’Institut, qui a récemment créé l’unité de recherche Learning Transitions (UR LT) avec CY Cergy Paris Université. Le but de ce département est d’élaborer outils, théories et méthodes scientifiques pour développer des approches systémiques des transitions planétaires, en s’appuyant sur l’interdisciplinarité, l’intelligence artificielle, l’intelligence collective et – évidemment – les sciences participatives.
Cléa s’estime chanceuse de travailler dans le domaine de la recherche, et elle est consciente du privilège qu’elle a d’être une femme dans le monde des sciences participatives. « Je ne sais pas si je me suis déjà posé la question de ma propre place en tant que femme dans les sciences. Je me considère privilégiée, j’ai toujours eu la chance de travailler sur ce qui correspondait à mes intérêts. Dans le monde de la science, c’est plutôt rare », admet-elle. « Il faut savoir que les femmes sont beaucoup plus investies dans la communauté des sciences participatives que dans des tas d’autres domaines comme les STEM » (science, technologie, ingénierie et mathématiques – selon l’ONU, les femmes ne représentent que 40% des diplômé·es en informatique et 28% des diplômé·es en ingénierie). Selon Cléa, cet attrait est probablement dû à la méthode de recherche : plus personnelle et relationnelle, plus collaborative aussi. Quand on lui demande ce qu’elle pense de la place des filles et des femmes dans les sciences, Cléa répond : « Cette question ne devrait tout simplement pas exister. Ce que l’on peut questionner, en revanche, c’est la manière dont on fait la science et celle dont l’institution elle-même doit changer. »
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Un portrait écrit par Marie Ollivier
Merci à Cléa Montanari d’avoir répondu à nos questions